Espagne

Le franquisme condamné

par François  Cardona

Les députés espagnols ont approuvé, ce mercredi, la loi dite de «mémoire historique». Elle vise à réhabiliter les victimes de la guerre civile (1936) et du régime dictatorial de Franco. Soutenue par le gouvernement socialiste du Premier ministre José Luis Zapatero, cette loi a suscité une grande polémique en Espagne. Les conservateurs du Parti populaire l’accusent de rouvrir les blessures du passé.
Le Congrès des députés autrement appelé la Chambre basse.
(Photo : E. Pantulis)

Après plus de quinze mois de tractations, la réforme la plus polémique de l’ère Zapatero a donc été votée ce mercredi par les députés des Cortes generales (Chambre basse). L’opposition, emmenée par le Parti populaire (PP), s’est donc inclinée, puisque c’est à une très large majorité que la loi dite de « mémoire historique » a été adoptée.

Le PP, né sur les cendres du franquisme, a bien entendu voté contre la loi mais il a validé sept de la vingtaine d’articles. Pour obtenir ce résultat, les négociations entre le parti socialiste (PSOE), la coalition écolo-communiste IU-ICV et les partis nationalistes des Catalans de CiU et ERC et des basques du PNV, ont été longues et ardues. Le texte a même subi des modifications de dernière minute, notamment sur des dispositions concernant l’Eglise (voir encadré).

Devoir de mémoire

L’intitulé même de la loi était loin de faire l’unanimité dès le départ. Mais au final, c’est une « loi pour la reconnaissance, l’élargissement des droits et l’instauration de mesures en faveur de ceux qui ont subi la persécution et la violence durant la guerre civile et la dictature » qui vient de voir le jour. Son objectif ? Inciter les « pouvoirs publics à mettre en œuvre des politiques orientées vers la connaissance de notre histoire et la promotion de la mémoire démocratique ». Or c’est bien ce devoir de mémoire qui a divisé la société espagnole tout au long des débats. Pour la première fois, la période du franquisme était officiellement condamnée, et qualifiée de « régime totalitaire contraire à la liberté et à la dignité de tous les citoyens ». La loi impose désormais la destruction des symboles de la dictature (voir encadré) et « des réparations morales et financières » à ceux (ou à leurs descendants) qui ont subi la répression franquiste, après le putsch de juillet 1936.

Pacte du silence

Le Parti populaire continue néanmoins de rejeter le texte, le jugeant « dangereux » et « inutile », arguant qu’il va « diviser les Espagnols ». Et surtout rouvrir les blessures, que l’on avait réussi, tant bien que mal, à cicatriser ou à oublier après la mort de Franco, en 1975. Les socialistes ont donc pris le risque d’ouvrir une boite de pandore, soigneusement scellée pendant la transition démocratique… Au PSOE, pourtant, on se défend de chercher vengeance, mais plutôt de réparer une injustice, un oubli de l’histoire.

Depuis trois décennies, aucun gouvernement n’avait en effet osé revenir sur la dictature du général Franco. La question de son héritage restait taboue, depuis « le pacte du silence » passé entre les dirigeants politiques espagnols au lendemain de la mort du Caudillo. Un silence à l’époque jugé nécessaire pour amorcer le processus démocratique naissant.

Ce mercredi, les députés espagnols ont finalement rompu la glace. Mais le texte doit encore être approuvé par le Sénat. Puis éventuellement par le Congrès. Verdict avant la fin de l’année.

Revue de presse espagnole

Par notre correspondant à Madrid, François Musseau

«La loi sur la «mémoire historique» est enfin approuvée par les députés, titrent la plupart des journaux.»

Les principales mesures de la loi dite de « mémoire historique »

Symboles du franquisme

L’article 15 a fait l’objet de négociations de longue haleine entre tous les partis politiques. Il oblige toutes les administrations publiques à supprimer les symboles et les noms de rues qui font référence au soulèvement militaire, aux franquistes pendant la guerre civile et pendant la répression exercée par la dictature.

Cet article vise également l’Eglise : les édifices religieux devront eux aussi retirer tout signe franquiste, sous peine de se voir retirer leurs subventions… Sont particulièrement visées les plaques « Tombés pour Dieu et pour l’Espagne » apposées sur les tombes des phalangistes. Mais un changement de dernière minute a été introduit pour permettre aux églises d’invoquer des raisons « artistico-religieuses » de manière à conserver les plaques datant de la dictature.

Quant au mémorial dans lequel est enterré Franco, la basilique du « Valle de los Caídos », la loi le « dépolitise ». Il ne pourra donc plus être un lieu de célébration pour les nostalgiques du franquisme, mais sera « régi strictement » comme un banal lieu de culte. Cette mesure a été approuvée par le Parti populaire.

Fosses communes

La loi prévoit d’obliger les pouvoirs publics à organiser et financer la recherche des disparus, victimes de la guerre civile et de la dictature de Franco, l’ouverture des fosses communes et l’identification des corps des fusillés.

Indemnisations des victimes

Les aides aux victimes du franquisme vont être étendues. Les familles des personnes « tuées en défense de la démocratie » entre 1968 et 1977 pourront désormais percevoir jusqu’à 135.000 euros.

Procès « illégitimes »

Autre grand sujet de négociation entre le Parti socialiste, ses alliés de gauche et le PP : les procès menés par les tribunaux franquistes contre les opposants à la dictature. Les condamnations avaient mené au poteau d’exécution près de 50 000 Républicains après la

guerre civile. Des dizaines de milliers d’autres avaient été incarcérés. Les petits partis de gauche réclamaient que les procès soient purement et simplement annulés. Ils sont finalement jugés « illégitimes ». Cette mesure pourrait ouvrir la voie à des procès en révision.

Brigades internationales

La guerre civile espagnol, lors de laquelle se sont entretués républicains et partisans de Franco, a également impliqué des étrangers venus « secourir la République contre le fascisme ». Ces membres dits des « Brigades internationales » obtiendront la nationalité espagnole. Ce qui n’est pas sans poser quelques problèmes administratifs. Ne serait-ce qu’au Mexique et en Argentine, plusieurs centaines de milliers de personnes sont concernées par cette mesure.

par François  Cardona

Article publié le 31/10/2007 Dernière mise à jour le 31/10/2007 à 17:39 TU