L’acte de naissance de l’ACER (les « Amis des Combattants en Espagne Républicaine ») a été publié au Journal Officiel le 31 janvier 1996. Son objet est précisé de la sorte : « Perpétuer dans le présent et l’avenir l’épopée de la guerre d’Espagne par des initiatives dans les domaines les plus divers en France et dans le monde. »
Cette initiative a été prise moins d’un an après la rencontre de deux volontés qui se sont exprimées à l’occasion du repas annuel que tenait alors l’AVER.
L’AVER a été fondée le 30 décembre 1937, au moment même de la création des Brigades internationales. C’était alors « L’Amicale des Volontaires en Espagne Républicaine ». Après la seconde guerre mondiale elle est devenue « les Anciens Volontaires en Espagne républicaine ». L’acronyme restait le même. 8.500 Français et Françaises participèrent à cette épopée, unique dans l’histoire humaine, celle des Brigades internationales. Les brigadistes répondaient « Présents ! » à l’appel à l’aide du gouvernement légitime espagnol. Et ils repartirent d’Espagne également à la demande du gouvernement espagnol. Leur départ eu lieu à Barcelone le 28 octobre 1938 en présence du Président espagnol et de Dolorès Ibarruri, Pasionaria.
L’AVER avait parmi ses objectifs deux particuliers inscrits dans ses statuts : l’obtention pour tous les Brigadistes français de la carte d’Ancien combattant – la vie ayant montré amplement que cette guerre d’Espagne constituait les prémices de la seconde guerre mondiale – et un autre consistant à rassembler l’ensemble des archives françaises concernant cette épopée.
En 1995, l’AVER ne comptait plus en France que 80 membres dont la moyenne d’âge était de 80 ans. Elle tenait, le samedi 25 février, son repas annuel, une paëlla, à Ivry-sur-Seine. Comme tous les ans j’y étais présent à un double titre : comme fils de Brigadiste et comme député de la circonscription englobant Ivry.
Au cours de cette paëlla Rol-Tanguy se leva au milieu du repas et demanda le silence. Il s’adressait directement à moi en disant en substance « Quand donc allez-vous prendre la relève, vous les jeunes ? » Je me levais aussitôt et répondais sur le champ que cela serait fait, que j’en prenais l’engagement solennel. Je concluais mon propos par ces quelques mots en espagnol : « A sus ordenes coronel ! », « A vos ordres colonel ! »
L’engagement pris il fallait le réaliser. Je me tournais aussitôt vers deux amis concernés comme moi : François Asensi, député, et José Fort, journaliste. On multiplia les contacts, en lien étroit avec la direction de l’AVER, avec des militants, des historiens, des amis sensibles à cette période. Une première réunion se tenait à la Fête de de l’Humanité en septembre 95. Engagement était pris de formaliser la création de l’association.
Une réunion constitutive de notre association au siège de « l’Humanité » à Saint-Denis se tenait le 29 novembre 1995. Nous proposions d’appeler cette association l’ACER, les Amis des Combattants en Espagne républicaine. Ce choix tenait à plusieurs raisons. L’AVER ne disparaissait pas avec la création de l’ACER. Elle devait devenir inactive de facto par le décès de tous ses adhérents. Ensuite « ACER » faisait un clin d’œil au mot espagnol « hacer » qui veut dire « faire ». Enfin, nous voulions ouvrir cette association non seulement aux fils et filles de Brigadistes mais nous souhaitions l’élargir aux familles et aux amis des républicains espagnols, nombreux en France. D’où le choix du mot « Combattants » en Espagne républicaine et non plus celui de « Volontaires ».
Au cours de cette réunion nous élisions un bureau composé d’une présidence d’honneur avec des anciens des Brigades : Henri Rol-Tanguy ; Louis Blesy, compagnon de la Libération ; Lise London, qui était en Espagne en 36 et femme d’Arthur London, brigadiste, dont on connait l’effroyable destin que relate le film « L’aveu » ; Roger Ossart, secrétaire général de l’AVER. On élit aussi une présidence composée des trois personnes déjà citées à l’origine de la création de l’association. Puis un secrétaire général : Pierre Rebière, fils de Pierre Rebière, brigadiste et résistant ; et de deux trésorières : Monique Clément et Martine Prunières.
Nous proposions de nous fixer quatre objectifs : l’obtention du titre d’Ancien combattant pour les Brigadistes ; l’érection d’une stèle à leur mémoire et pour l’éternité ; la récupération des archives conservées à Moscou et enfin un vaste effort pour faire connaître, en France et à l’étranger, notre association en sollicitant un large soutien pluriel et des adhésions nombreuses.
Nous entreprîmes alors une vaste campagne pour faire connaître notre association et solliciter des soutiens moral et financier. Des centaines d’adhésions affluèrent et des soutiens très nombreux, parfois inattendus, se manifestèrent. Les 4 objectifs posés nous voulions les réaliser vite.
Septembre 1996 : l’ACER créée l’événement pictural de la fête de l’Humanité. Pour marquer le 60ème anniversaire de la création de Brigades nous lancions une invitation à 25 peintres contemporains pour participer à une exposition inédite « Espana ! » à la fête de l’Humanité de 1996. Ce fut un succès considérable.
Décembre 1996 : obtention de la carte d’Ancien combattant. Dès après la guerre, cette revendication était posée mais les choses ne bougeaient pas. En 1992 le Ministre des Anciens combattants, Louis Mexandeau, proposait cette attribution. L’Assemblée nationale votait le 9 décembre. Un décret préparé devait s’enfouir dans des sables d’autant plus mouvants qu’en 1993 une nouvelle majorité fut élue qui s’opposa à cette décision. Elle invoquait, par la voix de deux ministres successifs (Mestre et Pasquini) le fait qu’on ne pouvait leur accorder cette carte car « l’armée française n’était pas engagée en tant que telle » en Espagne du fait de la politique de « non-intervention ». Avec François Asensi, à l’Assemblée nationale, nous reprenions le combat soutenu par une pétition lancée par l’ACER qui obtenait un très large soutien. On doit à la vérité de dire que le Président de l’Assemblée nationale de l’époque, Philippe Seguin, s’engagea très activement sur ce sujet. Et le 19 octobre 1996 c’est le Président Jacques Chirac qui devait nous faire savoir par courrier qu’il était d’accord pour cette attribution. Ce fut voté à l’Assemblée nationale le 6 décembre 1996 sous le nom de « l’amendement Malraux ». Bien sûr il n’y avait plus alors que très peu de survivants. Mais nous avions gagné politiquement une bataille majeure qui fait que désormais notre pays reconnaît officiellement que tous les Brigadistes français en Espagne ont combattu et sont morts pour la France.
16 octobre 1999 : une stèle érigée en hommage éternel aux Brigadistes Début 1996 nous prenions contact avec Oscar Niemeyer, le grand architecte brésilien. Il accepta sur le champ. C’était un grand honneur. Il se mis à la tâche et nous envoya 3 maquettes. Notre choix se portait sur une dont nous confions la réalisation à l’architecte Jean Michel Daquin et au plasticien Denis Monfleur. La stèle fera 3 mètres sur 0,75 en marbre blanc avec dessin en cordon métallique et une plaque de bronze pour l’inscription. Nous avions également l’accord immédiat de André Tollet d’installer cette stèle au Parc Vercors du Musée de la Résistance nationale à Champigny. Nous récoltions des fonds d’institutions mais aussi de beaucoup de particuliers. Le 16 octobre 1999 nous l’inaugurions. En présence d’une foule énorme et avec des messages des plus hautes autorités du pays. La fille de Dolorès Ibarruri était présente. Un moment intense. Un merveilleux moment…
22 novembre 2001 : les archives récupérées et ouvertes au public. Œuvre gigantesque que la réalisation de cet objectif. Il existait en France, à ce moment, trois sources principales d’archives. Le « Maitron », le Musée de la résistance et la BDIC de l’Université Paris X à Nanterre. Et il y avait à Moscou pas moins de 1090 dossiers, 118.695 pièces et 639 photos. Nous décidions avec Claude Pennetier, Remi Stoutelsky et la directrice de la BDIC, Mme. Dreyfus-Armand, de tout faire pour récupérer ces archives de Moscou. Chose difficile après les bouleversements survenus en Russie et le chaos qui régnait alors. Finalement nous pûmes récupérer en deux ans tous ces documents sous forme de microfilms qui furent déposés à la BDIC et étaient ouverts aux chercheurs et au public. Une cérémonie publique présidée par Henri Rol-Tanguy devait se tenir alors à l’Université de Nanterre pour marquer cet événement le 22 novembre 2001.
Ainsi, en moins de 5 ans, nous avions tenus nos engagements qui n’étaient pas minces. Les « Oubliés de l’histoire » ne l’étaient plus. Le flambeau passé ne s’est pas éteint. Et il continue aujourd’hui encore à suivre son chemin…
Jean-Claude Lefort
Co-président de l’ACER
Parlementaire honoraire