LE DEPART – Gare d’Austerlitz – Le train de 22 h 17

Extrait du livre « la 14e » de Theodor BALK, brigadiste d’origine tchèque (médecin, journaliste, écrivain), paru aux Editions du Commissariat des Brigades Internationales, Madrid 1937.

Mention en dernière page du livre : « Ce livre, vécu et écrit au front, a été imprimé aussi au front. Sept obus sont tombés sur l’atelier pendant l’impression de ce livre ». 

« C’est le soir. Embouteillage – Opéra, dîner, concert.

Au sein de ce diagramme compliqué d’autos canalisé et s’égaillant, il y a des voitures dont le parcours nous intéresse. Elles vont toutes se garer devant un long édifice, identifiable au premier coup d’œil, la gare d’Austerlitz.

Mais aucun porteur n’assaille le taxi pour ouvrir avec empressement les portières. Les gens qui en descendent n’ont point besoin de porteur. Ce sont d’étranges personnages, ces voyageurs, qu’on n’a pas coutume de voir dans un tel lieu à cette époque et dans cette foule. Ce ne sont pas des messieurs distingués, s’en allant aux sports d’hiver, dans les Pyrénées ou bien à Biarritz ou en quelque autre région du Midi, occuper leur confortable oisiveté.

A coup sûr, on ne peut pas s’y tromper : ce sont des ouvriers. Ils arrivent par trois quatre ou cinq, avec une mine, comme si le lendemain ce devait être dimanche, et comme si pendant des semaines, il ne devait plus y avoir que des dimanches. Ils s’adressent des clins d’œil, d’un air entendu, ils s’abordent et au premier mot semblent se connaître depuis des années. La plupart sont gauches.

Jusqu’à ce jour ils n’ont guère usé de ce mode de locomotion, les taxis. Leurs habits sont empruntés comme leurs gestes. Ils ont trouvé quelque part à s’installer, et ils attendent avec patience. C’est comme s’ils avaient peut de se perdre. Ils ne parlent pas français. Il y a quelque chose de fébrile dans leur manière d’être.

A ces gens, au public de Français moyens, qui s’en vont à Orléans à la noce d’un parent, ou s’en retournent à Limoges après une visite à leur député, se mêlent à cette heure quelques silencieux observateurs, envoyés par de ambassades et quelques messieurs de diverses sûretés nationales. Ils sont venus surveiller leurs ressortissants. Ils ont fort à faire.

Dix heures. Par paquets ils filent vers l’entrée, se coulent à travers l’écluse du contrôle arrivent aux quais. Il y a peu de place. Les accents de nombreuses langues étrangères se mêlent et se croisent. Tout le monde les dévisage. Et cette insistance, les sentiments qu’elle exprime, séparent plus les hommes ici que la langue et la nationalité.

Les billets sont poinçonnés. L’attente anxieuse a cessé. Le quai est noyé dans le brouhaha des conversations.

Des trains partent. Des sirènes sifflent. Il bruine. Les mots sont comme des nuages. Enfin, lentement, les wagons démarrent le long du quai. Tout le monde se presse aux fenêtres. Sur le quai, des hommes défilent, immobiles devant le train, poings levés. Il faut se pencher dehors pour voir encore. Sémaphores et halos de lumière cernés d’une nuit grise.

Les gens quittent les fenêtres. Ils se regardent face à face dans les compartiments. Soudain, une voix, un chant s’élève, puis cent voix reprennent, tout le train chante.

Beaucoup de nationalités se rencontrent dans ce train. Une promenade à travers les wagons, c’est une promenade à travers l’Europe –et même deux ou trois continents.

Les Français sont les plus nombreux. Ils chantent la « Jeune Garde », boivent du vin rouge et mangent du pain blanc, le léger pain blanc de Paris.

Ill chantent la Carmagnole. Ils la chantent à pleine gorge, avec plus de cœur qu’avant car cette fois, ils n’en resteront pas à la menace, ça va devenir la réalité : Tous les fascistes à la lanterne ! De temps en temps, ils envoient Franco et La Rocque « au poteau ». « Franco au po-teau ! Franco au po-teau ! ».


Extrait de la brochure « 5 semaines en Espagne avec le Bataillon Henri Barbusse » – Léon MABILLE (éditions Paix et Liberté Paris 1937)

Départ fin novembre 1936 – arrivée en Espagne en décembre 36 où est formé le bataillon Henri Barbusse, de la 14e BI –

«…des centaines de travailleurs manuels et intellectuels, communistes, socialistes, radicaux, républicains sont venus constituer le bataillon Henri Barbusse.

….. en petits groupes, nous arrivons à la gare. Les uns ont une petite valise, d’autres une musette ou un simple paquet. Tous se sont vêtus le plus chaudement qu’ils ont pu ; car ils savent qu’en Espagne, les miliciens antifascistes qu’ils vont rejoindre n’ont pas toujours les vêtements nécessaires pour les protéger du froid.

Tant bien que mal nous prenons place dans le train. Les minutes d’attente dans cette gare nos semblent interminables. Les camarades ont hâte de partir, ils ont peu qu’à la dernière minute on vienne les empêcher d’aller accomplir leur devoir de volontaires antifascistes ; car après tout, il y a le blocus contre l’Espagne républicaine, il y a même une déclaration d’Yvon Delbos contre le départ des volontaires.

Enfin, le train s’ébranle. Un dernier salut aux cheminots qui en signe de solidarité se sont massés sur le quai. Un cri « Vive l’Espagne républicaine ! », puis une puissante « Internationale » se perd dans la nuit. »


LISE LONDON – Le Printemps des Camarades (édition du Seuil – 1996)

« …il fait nuit noire lorsque nous arrivons gare d’Austerlitz. Le hall, les quais sont bondés. Il y a là plus de 2000 volontaires en partance, les membres des familles, les amis, les délégués du PCF été des organisations antifascistes venus prendre congé de ces hommes « levés avant le jour » qui forcent l’admiration. »


Témoignage de Boris GUIMPEL (1911-1979), architecte de profession, Chef d’état major de la 14e Brigade Internationale, puis à l’Etat-major de la 35e Division de l’armée espagnole républicaine, Résistant en zone sud.

« …Je suis parti le 26 ou le 27 novembre (1936), … le jour du départ, nous avions rendez-vous devant la gare d’Austerlitz, près du kiosque à journaux. Il y avait là environ 600 volontaires, et Léon Mabille, le secrétaire de Paix et Liberté, la seule personne que je connus parmi ceux rassemblés là. La grande majorité des volontaires étaient en civil, avec des valises et des sacs. En ce qui me concerne, j’étais moitié-militaire, moitié civil : culotte de cheval, leggins, et un sac à dos.

Ce premier rassemblement s’est fait sans ostentation. Ni drapeaux, ni banderoles. Il régnait un

enthousiasme extraordinaire. Nous étions tous persuadés d’ailleurs que c’était une affaire de deux ou trois mois.

Au moment de monter dans le train (qui était en fait un train spécial mais sans le nom), Léon Mabille a désigné comme chef du détachement PUTZ, ex-capitaine en 14-18, et moi comme adjoint.

Nous sommes arrivés à Perpignan après une nuit dans le train. On nous a dispersés dans divers locaux. Le comité d’accueil nous a distribué des sandwichs et du café, discrètement, sans fanfares.

En fin d’après-midi des autocars sont venus nous chercher. Ils nous ont emmenés au Perthus. A la frontière, ni du côté français, ni du côté espagnol, personne ne nous a rien demandé… »


LE RETOUR gare d’Austerlitz – LA PRESSE

REGARDS du 27/10/38 –

L’article « les volontaires des BI reviennent des tranchées «  :

« …. Après les convois qui viennent de Juvisy, d’Orly, d’Ablon, de Verrières, voici qu’un long courrier se range à son tour, freine ses grands wagons internationaux qui ont roulé toute la nuit sur le France endormie, la rapide Cerbère-Paris.

Celui-là, il y a du monde pour l’attendre. Plus qu’on en vit jamais aux retours de vacances, une assistance grave, émue d’avance. De tout : des femmes, des enfants, des vieux et des jeunes. Avec de fleurs cueillies qui attendent sur des chariots de bagages, avec des paquets de gauloises bleues qui semblent impatients de s’ouvrir… avec des civières aussi. On attend un train de blessés venant d’Espagne.

Des poings de se lèvent, et parfois c’est le gauche car le bras droit est en écharpe. Les premiers sourires éclairent les joues amaigries. On saute à terre, quand on a son compte de jambes. On aide les copains à débarquer. On se passe les pauvres valises qui représentent tout l’avoir de chacun.

Bientôt, ils sont trois cent cinquante sur le quai, s’organisant par groupes de langues, par nationalité, sans bruit, ave ce sens des disciplines nécessaires et consenties qu’on acquiert là-bas.

Il y a des Français, des Italiens, des Allemands, des Autrichiens, des Yougoslaves, des Anglais, des Américains, des Tchèques, des Hongrois, des Polonais, des Hollandais, des Canadiens. Toute la terre, tous les peuples du monde ont délégué là-bas la fleur de leurs hommes.

…..

Sur le boulevard de l’Hôpital et dans la rue Buffon, il y a cent cinquante taxis qui attendent, le compteur encapuchonné de lustrine. C’est ainsi à chaque fois que des blessés espagnols arrivent : le syndicat des chauffeurs met, sans compter, toutes les voitures nécessaires à la disposition des Comités d’accueil. C’est la première gentillesse du cœur populaire de Paris ? Merci, les gars du taxi !

Et par la Bastoche et les rues ouvrières, les 350 s’en vont « en carrosse » comme dit l’un d’eux, vers la Maison des Métallos (rue d’Angoulême, aujourd’hui rue Jean-Pierre Timbaud. »


L’HUMANITE DU 13/11/38

Articles sur le départ d’Espagne, l’escale de Cerbère, arrivée à Perpignan – information sur les différents convois

Organisation de l’accueil du lendemain 14/11 (emplacement de chaque organisation et syndicat le long du parcours, l’AVER au poste rue Sauvage).


Article du PETIT PARISIEN DU 14/11/38

« Le train ramenant le premier contingent de volontaires français des BI, originaires de Paris ou de la région parisienne, est arrivé hier vers 9 h 30, en gare d’Austerlitz. Ce contingent comprenait 815 hommes, officiers ou hommes de troupe…… »

 

Reportage de Cerbère du 13/11 sur le départ à 2 heures du matin du second convoi de rapatriés d’Espagne. Au total 1472 volontaires français ont ainsi quitté, depuis hier matin, le territoire de la République espagnole, ainsi que l’a constaté la commission internationale de la S.D.N.

L’article cite le cas des brigadistes qui ont contracté mariage en Espagne, et certains qui y ont des enfants…