Disparition de Lise London

L’ancienne résistante communiste Lise London est décédée à Paris samedi 31 mars à l’âge de 96 ans.  Elle sera enterrée au cimetière parisien d’Ivry sur Seine (Val de Marne) ce jeudi 5 avril à 10h30.

Née en 1916 et issue d’une famille d’immigrés espagnols et envoyée à Moscou par le parti communiste en 1934, elle y rencontre le Tchèque Artur London qu’elle épouse en secondes noces, après le résistant communiste et sportif Auguste Delaune. Elle participe alors à la création des Brigades internationales dans l’Espagne républicaine. Au début de la seconde guerre mondiale, elle devient capitaine dans la résistance et est arrêtée en août 1942 par la police française, déportée au camp de concentration de Ravensbrück puis à Buchenwald.

A la fin de la guerre, elle part à Pragues avec Artur London qui devient vice-ministre des affaires étrangères avant d’être arrêté en 1951, figurant parmi les quatorze accusés du procès de Prague en 1952. (Cette affaire a fait l’objet d’un livre, l’Aveu, porté à l’écran par Costa-Gavras avec Yves Montand et Simone Signoret dans le rôle du couple London).

« En participant à la création des brigades internationales, ces hommes et ces femmes qui se sont levés pour défendre la République espagnole contre la dictature franquiste, Lise London a été l’une des pionnières de la lutte contre le fascisme en Europe. Pour des générations de militants communistes dont je fais partie elle a été également l’une des figures les plus marquantes de la lutte contre le stalinisme, cette terrible perversion de l’idéal communiste. Malgré la violence subie par ses proches elle n’a jamais renoncé à son engagement. Lise London était une amie du Val-de-Marne. Ancienne résistante, elle a participé de nombreuses fois aux initiatives du Conseil général en direction des collégiens, sur le travail de mémoire. », a déclaré Christian Favier, président du Conseil général du Val de Marne, en réaction à son décès.


Funérailles de Lise London à Ivry sur Seine

La résistante communiste Lise London (voir l’article retraçant son parcours) a été inhumée ce jeudi 5 avril au cimetière parisien d’Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne).  Environ deux cents personnes se sont retrouvées autour du cercueil  pour lui rendre un dernier hommage.

« Ces gens qui ont osés se lever contre Franco – et encore plus les femmes – méritent toute notre admiration et notre respect. Sans eux, l’Espagne, et même l’Europe ne seraient peut-être toujours pas libérés de la tyrannie des dictateurs » insiste aussi Manuel, né en 1933 a Salamanque (Espagne) et qui a rejoint la France en 1952 avec sa famille pour fuir le franquisme.


Publication : 5 avril 2012

« Soyez vous-mêmes, ouvrez les yeux »

Ce jour-là, dans la  cuisine de son appartement proche de la place de la Nation à Paris, Lise London me tendait une tasse de café affirmant tout de go : « En paraphrasant De Gaulle, je déclare que la vieillesse est un naufrage. » C’était il y a quinze ans. Lise London nous a quittés la semaine dernière à l’âge de quatre-vingt-seize ans. Elle ne manquait pas d’humour. Lorsqu’on l’interrogeait sur son engagement communiste, elle répliquait goguenarde : « C’est mon jour des citations. Comme Aragon, j’affirme que chaque matin je me repose la question de mon choix politique et … je ré adhère au PCF. »  Son engagement est resté intact jusqu’à sa mort.

On ne « récupère » pas une grande dame comme Lise London. On la respecte. Si on a l’autorisation, on l’embrasse, fort si possible, et on écoute s’égrener une page d’histoire que les moins de cinquante ans ne connaissent pas. La vie miséreuse dans les années trente des immigrés espagnols à la recherche de travail du côté de Vénissieux, la découverte du monde des salariés, les premiers contacts avec des responsables communistes, l’engagement dans les Brigades Internationales parties défendre la République espagnole, l’action contre l’occupant nazi, la déportation à Ravensbrück, la tragédie d’une famille communiste face au totalitarisme stalinien. Lise London, c’est tout çà. Pas seulement.

Lise, c’est aussi et surtout une histoire d’amour. Une passion pour Artur London, l’homme qu’elle a aimé à en perdre la raison, l’homme qu’elle a défendu bec et ongles contre l’ignominie stalinienne, l’homme qu’elle a sorti de prison, qu’elle a soigné, qu’elle a protégé et à qui elle a donné envie de vivre et de se battre à nouveau, l’auteur de « l’Aveu » anéanti par tant de cruautés retrouvant la force de témoigner et de combattre pour son idéal de toujours, le socialisme. Une telle femme ne peut laisser indifférent. Artur avait bien de la chance même si parfois la « Mégère de la rue Daguerre », du nom de la rue où eu lieu la première manifestation contre les nazis à Paris, affichait un caractère explosif à  décoiffer le plus placide de ses admirateurs. Madame n’était pas du genre « facile ».

Elle était curieuse de tout. Passés à la question, ses visiteurs ne sortaient jamais indemne de la rencontre. Elle était d’une gentillesse savoureuse et savait aussi distribuer durement les coups. Elle ne prétendait pas dispenser le bon savoir et encore moins la correcte attitude mais ne faisait jamais l’économie de la critique surtout à l’égard de ses camarades égarés. Les communistes français en savent quelque chose. Et au moment où cette grande dame nous quitte, je ne peux m’empêcher de penser qu’elle nous laisse quelques messages. Celle qui a tant souffert à Ravensbrück plaçait au premier rang de ses énergies la lutte contre le fascisme. Lors de la grande manifestation du 1 er mai 2002 alors que Le Pen frappait à nos portes, Lise London rejoignait, aidée de sa canne, le défilé refusant l’aventure brune.  Celle qui avait enduré dans sa chair le stalinisme et qui n’avait pas déserté son engagement de jeunesse invitait les nouvelles générations à  douter, à ouvrir les yeux, à ne pas s’enfermer dans des certitudes, à lutter contre la perversion des idéaux communistes. « Soyez-vous-mêmes », lançait-elle aux jeunes rencontrés dans les écoles  lors de multiples débats. Femme courage comme elle l’a démontré en Espagne contre les franquistes, à Paris contre les nazis, à Prague contre les staliniens, elle refusait la fatalité de l’ordre établi et clamait sa volonté de rester actrice de l’Histoire. L’ancienne petite immigrée de Vénissieux, la capitaine de la Résistance, la solidaire du camp de concentration, l’opposante aux totalitarismes, est restée jusqu’à sa mort une combattante contre l’injustice. Toutes les injustices.

José Fort


Hommage à Lise London,femme combattante face à la barbarie et à l’injustice

Communiqué de presse de Laurence COHEN, Sénatrice du Val-de-Marne

C’est avec une vive émotion que j’ai appris la disparition de mon amie, notre camarade, Lise London.

Déportée, résistante, femme de convictions, d’engagement, Lise s’est battue toute sa vie pour l’émancipation humaine, contre la barbarie et l’injustice.

Ces valeurs, ces idéaux ont font d’elle une femme profondément communiste pour lui le renoncement n’avait pas de sens. Personne n’a pu oublier son émouvante déclaration au Congrès de Martigues quand elle décide de reprendre sa carte au PCF.

J’ai eu la chance, durant mon mandat de Secrétaire départementale du PCF Val-de-Marne de connaitre Lise et de tisser des liens avec elle.

C’est notamment suite à cette rencontre que j’ai choisi d’accueillir sur l’Espace départemental de la Fête de l’Humanité, le stand de l’ACER (association des amis des combattants de l’Espagne Républicaine) pour ne pas oublier le passé car mener cette analyse éclaire le présent et ouvre sur un avenir porteur d’espoir. Son soutien m’a confortée dans la responsabilité qui était la mienne.

La disparition de Lise laisse un vide profond, elle reste pour moi le symbole d’une femme rebelle qui n’a jamais renoncé à construire une société juste, fraternelle, solidaire où égalité rime avec liberté.

Un grand merci à cette grande dame qui continuera a nous accompagner dans tous nos combats.

Laurence Cohen

Sénatrice du Val-de-Marne

Secrétaire départementale du PCF 94 de 2000 à 2011.


Notre camarade Lise London n’est plus. Une femme exceptionnelle n’est plus

(Pierre Laurent – PCF)

Née en 1916, à Montceau-les-Mines, de parents espagnols, Élisabeth Ricol était dotée d’un esprit d’une acuité rare qu’elle mit au service du combat pour l’émancipation humaine et contre la barbarie et l’injustice.

Jeune sténodactylographe aux usines Berliet de Vénissieux, Lise s’engage très tôt au Parti communiste français qui, dès 1934, la missionna auprès du siège du Komintern, à Moscou, où elle fit la rencontre de Dolorès Ibarruri, La Pasionaria, future secrétaire générale puis présidente du Parti communiste espagnol, mais aussi d’Artur London, un communiste tchèque qui allait devenir l’amour de sa vie et son deuxième époux, après Auguste Delaune. De ce séjour, exaltant, Lise garda cependant un goût plus qu’amer au spectacle humiliant et tragique des purges staliniennes, ne pouvant savoir qu’elle y serait elle-même confrontée quelques années plus tard, dans un tout autre contexte, en Tchécoslovaquie.

À son retour en France, à l’été 1936, Lise travaille comme secrétaire auprès du responsable de la MOI (Main-d’œuvre immigrée, section rattachée au comité central du PCF). Elle prend une part active à la mise en place des Brigades internationales de solidarité avec les Républicains espagnols, à Paris, puis à Albacete, au quartier général des Brigades internationales, auprès d’André Marty.

Ce fut un combat fondateur pour Lise et sa génération. À chacune de nos rencontres, je retrouvais en elle l’être libre, toujours aussi droit et digne, avec, dans les yeux, toute la tendresse et toute la force qui ont été siennes au long de son existence. Les épreuves traversées, les combats menés, n’ont fait que renforcer son humanité. Et grâce à elle, le monde fut à chaque fois un peu meilleur.

Rejointe à Paris par son époux, en février 1939, et jeune maman d’une fille née en février 1938, Lise est des premières à s’engager, sous les ordres d’Henri Rol-Tanguy, dans la Résistance, devenant capitaine des Francs-Tireurs et Partisans (FTP). Poursuivie par l’Occupant pour « assassinat, association de malfaiteurs et activités communistes », Lise est arrêtée en août 1942 par la police française. Elle donne naissance à son fils en prison à La Petite Roquette, puis après un passage à Fresnes et à la prison de Rennes, elle est livrée aux Allemands pour être déportée au camp de concentration de Ravensbrück. Elle s’y lie d’amitié avec Danielle Casanova et tant d’autres femmes qui n’en reviendront jamais. Les conditions inhumaines du camp de concentration, celles infligées aux membres de sa famille entière – son père, son frère eux aussi emprisonnés et à son mari, Artur, lui aussi déporté – n’auront pas raison d’elle. A La libération, Artur et Lise s’installent en Tchécoslovaquie qui doit se reconstruire ; Artur entre au gouvernement comme vice-ministre des Affaires étrangères.

L’épreuve qui les attendait en Tchécoslovaquie de 1951 à 1956 fut des plus tragiques. À ses procureurs staliniens, elle déclara : « J’étais, je suis et je resterai communiste, avec ou sans carte du Parti ». Sa résistance à la folie stalinienne prenant pour cible les anciens Brigadistes, et la solidarité des communistes français alertés par Raymond Guyot, auront raison de la terreur stalinienne. Libéré, Artur est enfin réhabilité en 1956. Revenus en France en 1963, le pays qu’ils ont libéré du nazisme et de la Collaboration, le pays qui a vu naître leurs enfants, Françoise et Michel, ils ne la quitteront plus.

« Ouvrez grands les yeux, ne vous laissez pas enfermer dans les certitudes, n’hésitez pas à douter, battez-vous contre les injustices, Ne laissez pas la perversion salir les idéaux communistes. Soyez vous- mêmes », dira notre camarade Lise London à ceux qui l’interrogeaient encore sur son engagement communiste présent.

« Ouvrez grands les yeux… soyez vous-mêmes » – Chère Lise, en chérissant ta mémoire, nous serons fidèles à ton injonction.

Pierre Laurent, secrétaire national du PCF

Paris, le 1er avril 2012


Notre chère et grande amie Lise London est décédée

Déclaration des Amis des Combattants en Espagne républicaine (ACER)

Notre chère et grande amie Lise London est décédée dans la nuit de vendredi à samedi à Paris. Elle avait 96 ans.

Présidente d’honneur de l’ACER, elle a accompagné la création et le développement de notre association avec le même enthousiasme et la même pugnacité qu’elle mettait à toute chose.

Dans sa façon de parler de l’Espagne républicaine, de son travail pour les Brigades Internationales, nous ressentions

passer jusqu’à nous ce grand souffle de l’Histoire qui avait emporté tant d’hommes et de femmes sur la terre d’Espagne pour défendre des valeurs d’espoir, de démocratie et de paix.

Elle restait un des derniers acteurs de cette histoire, et jusqu’au bout elle a témoigné pour que l’on n’oublie pas, qu’on ne dénature pas ce magnifique élan de fraternité internationale que furent les Brigades Internationales, pour toujours associées au souvenir de son mari Gérard London. Leurs actions dans la Résistance leur valurent à tous les deux l’arrestation et la déportation.

Sa vie fut riche d’engagements pour de belles causes, et elle avait su traverser des moments tragiques, des moments d’angoisse avec un grand courage.

Notre affection va à Françoise, Gérard et Michel, ses enfants, à ses petits-enfants, à tous ses proches.

Chère Lise, toi qui étais de ceux qui se levèrent avant l’aube, nous te portons dans notre cœur à tout jamais.

Le Bureau  des « Amis des Combattants en Espagne Républicaine (ACER), 31 mars 2012

Les obsèques auront lieu jeudi 5 avril à 10h30 au cimetière parisien d’Ivry sur Seine, 44, avenue de Verdun.


Obsèques de Lise London : Discours de Roberto Lample

Cimetière parisien d’Ivry, le 5 avril 2012

Chers amis,

Merci de votre présence pour accompagner Lise une dernière fois. Du monde entier, nombreux sont ceux qui auraient voulu être parmi nous.

Au nom des adhérents des Amis des Combattants en Espagne Républicaine (ACER), en votre nom à tous, je veux transmettre à Françoise, Gérard et Michel ses enfants, à ses petits enfants, à tous ses proches, notre profonde, très profonde affection.

Le journal « l’Humanité » a publié un très beau texte de José Fort sur la vie de Lise, la femme, la mère, la militante. Parmi les nombreux engagements de Lise, relatés par José, il en est un auquel elle tenait particulièrement, celui qu’elle avait pris auprès de la République espagnole.

Espagne. En juillet 1936, le peuple des campagnes et  des villes se souleva contre les généraux factieux qui voulaient le priver de la  victoire du « Frente Popular ». Franco, Hitler, Mussolini ne pouvaient accepter qu’un peuple, animé d’idéaux de justice, de fraternité, de démocratie et de paix, prenne son destin en main. Ce peuple refusa de plier à la force brutale des factieux. « No pasaran », « plutôt mourir debout que vivre à genoux », ces mots d’ordres donnent une idée de la détermination et de la bravoure qui animaient les républicains espagnols.

Face à la lâcheté de la « non intervention », des milliers de volontaires venus du monde entier se dirigèrent vers l’Espagne pour combattre auprès des républicains. L’ampleur de cet élan fraternel se traduisit par la création des Brigades Internationales. Lise, fille d’Espagnols, à vingt ans déjà une militante aguerrie, était, bien sur, une de ces volontaires.

Ce geste, unique par son désintéressement et sa générosité, a créé une relation passionnelle entre les volontaires et le peuple espagnol. Il est difficile de trouver les mots justes et encore plus de les prononcer pour exprimer la gratitude des Espagnols envers les Brigadistes, gratitude réciproque comme le dira l’inlterbrigadiste Sossenko, en 2008 à Barcelone. « Ne nous remerciez pas, non, c’est nous qui vous remercions de nous avoir permis de vivre notre idéal ». Pour Lise et tous les brigadistes l’expérience marqua leur vie à jamais.

Bien des années plus tard, avec Cécile et Henri Rol Tanguy, Adèle et Roger Ossard, le colonel Blésy  au sein de l’AVER, puis avec Pierre Rebière, entre autres, au sein de l’ACER, elle consacrera toute son énergie pour que cette épopée ne tombe pas dans l’oubli, pour rappeler les valeurs des brigadistes.

J’ai fait la connaissance de Lise, au Village du Livre de la fête de « l’Humanité » à la fin des années 1990. J’entendis une voix pleine d’assurance affirmer « je suis d’origine aragonaise ». Surpris par ces paroles je me suis approché de la table et j’ai vu cette belle femme qui me rappelait ma grand-mère. Je n’ai pas pu  m’empêcher de lui dire « moi aussi ». Une discussion « aragonaise » s’en suivit. Très vite, je fus séduit par son regard et son irrésistible sourire. Vingt minutes plus tard, je repartais après avoir rempli un bulletin d’adhésion à l’ACER ses deux livres sous le bras. Lise était d’une redoutable efficacité !

Mille fois merci Lise. L’ACER a été une opportunité d’exercer le devoir de mémoire que je dois à tous ces Espagnols, communistes, anarchistes ou bien simple républicain comme mon grand- père. Ils ont enchanté mon enfance, et m’ont transmis les plus nobles valeurs. Gratitude éternelle aux Brigadistes.

Pour les adhérents de l’ACER, Lise était une locomotive infatigable, de voyages en conférences, ventes de livres, inaugurations, expositions, partout où elle était présente, elle captivait son auditoire. C’était la championne de la dédicace au village du livre à la fête de « l’Humanité », tout le monde voulait la voir, l’écouter, lui parler. Elle était  toujours disponible. Elle avait un don pour  séduire ceux qui l’écoutaient. Pas pour se mettre en avant, mais pour expliquer, motiver, défendre les idées qui ont animé toute sa vie.

Avec Lise à ses côtés tout était possible, que ce soit en France ou en Espagne, elle était notre porte-drapeau. Les survivants des Brigades de tous les pays lui vouaient une affection particulière.

Ce travail de mémoire partagé par de nombreuses associations, aux Etats-Unis et dans la plupart des pays européens de la Scandinavie, à l’Italie, du Royaume Uni à la Russie, et, en Espagne bien sur, a fini par porter ses fruits. Les Brigadistes ont obtenu la nationalité espagnole, le statut d’ancien combattant en France. Des stèles sont érigées à leur mémoire, à Londres, Stockholm, Cork , Barcelone et depuis l’année dernière à Madrid, à la Cité universitaire, sur les lieux où  se déroula leur premier combat, aux côtés des communistes du Quinto Regimiento de Lister et des anarchistes de la Colonne Durruti. Il reste encore beaucoup à faire, sans Lise, sans les Brigadistes. A nous de nous montrer digne de ces être exceptionnels.

Et puis j’ai découvert une autre Lise. Suite à un projet  de stèle à Draveil où j’habite, initiative à la quelle elle apporta un soutien décisif, je fus amené à lui rendre visite régulièrement. Le projet abouti, ces visites continuèrent. Nous nous retrouvions pour déjeuner ou en fin d’après midi. Nos sujets de discussion étaient des plus variés entrecoupés d’un verre de Porto. Elle était intarissable. J’étais impressionné par sa mémoire des faits, par la quantité de gens qu’elle avait connus et dont elle se souvenait, de la plus humble agente de liaison dans la résistance aux personnages les plus illustres.   C’était un régal de  l’écouter narrer ces innombrables rencontres et anecdotes, déguster ses rires, son magnifique sourire, ce regard débordant d’humanité. Plusieurs fois je me suis fait la réflexion en la regardant : « Cela ne m’étonne pas que le jeune Arthur ait craqué dès leur première rencontre».

Depuis deux ans son état physique déclinait, elle avait de plus en plus de difficulté à se déplacer. Parfois, à son regard, je voyais bien qu’elle était ailleurs, elle revisitait sa vie. Certains sujets de conversation revenaient plus régulièrement, ses parents, qu’elle chérissait, son enfance à Saint-Etienne, ses enfants dont elle était fière, l’Aragon, le communisme et les communistes, sa rencontre avec Arthur à Moscou et leur retrouvailles en Espagne, jamais la déportation sauf une fois en novembre dernier. « Tu sais ce que c’est d’être communiste ? me demanda-t-elle. J’attendais la réponse. A son regard,  je voyais qu’elle était partie loin, très loin. Après quelques  longues secondes de silence, elle me dit « c’est organiser l’utilisation de la tinette, dans un wagon remplie de femmes, pour ne pas en rajouter à l’horreur d’un voyage vers un camp de concentration ».

Malgré l’extrême attention dont ses enfants ont fait preuve auprès d’elle, il fallut se résoudre à l’hospitaliser définitivement. Lise comprit rapidement qu’elle ne retournerait pas chez elle. Quelques jours avant sa disparition, je lui rendis visite, elle ne pouvait pas parler, alors elle me fit une dernière fois ce magnifique sourire, et ce regard pétillant, c’était sa façon de dire adieu.

C’est un grand vide qui nous envahit, il nous faudra admettre qu’elle ne sera plus avec nous, c’est une nouvelle cicatrice qui s’ouvre dans nos cœurs, elle rejoindra celle de la guerre d’Espagne, et pour l’atténuer il me suffira de penser à ces mots de Victor Hugo, qu’elle aimait tant.

« Ceux qui vivent ce sont ceux qui luttent ».

Adieu ma camarade, adieu mon amie, adios mi querida maña.

Discours de  P. DAIX

Lise Ricol et Artur London appartiennent à cette génération, formée par l’internationalisme, qui a voulu partager les progrès du socialisme soviétique Leur rencontre à Moscou, en 1935,— Il a vingt ans, elle, 19, — en fut le symbole, comme, hélas, le procès qui s’ouvrit, un an plus tard, allait être le symbole que Staline redoutait, par dessus tout, ce que Lise allait appeler « le printemps des camarades »

Lise et Gérard, c’est le nom sous lequel nous l’avons tous connu, vivent leur amour dans la guerre d’Espagne qui éclate alors. Lise n’en quittera les combats que pour la naissance de sa fille Françoise. Elle les poursuit en France par l’aide aux Républicains exilés et la formation des militantes, quand les hommes sont mobilisés en 1939, dans la drôle de guerre.

Lise sera encore plus au front de la Résistance contre l’occupation nazie. Ce qui la fera arrêter, en 1942, à Paris, lors de la manifestation de la rue Daguerre qu’elle conduit. Condamnée à mort par Vichy, elle n’en sera sauvée que parce qu’elle attend son fils Gérard, qui naîtra à la prison de La Roquette.

Déportée à Ravensbrück, elle y poursuit sa résistance. Dans la débâcle de 1945, elle va devoir traverser toute l’Allemagne dévastée. Elle retrouve son mari, que j’ai rencontré à la prison de Blois en 1943, qui est sorti comme moi de Mauthausen, et ses parents espagnols qui ont élevé Françoise et le petit Gérard.

La guerre froide va bientôt les enlever à la reconstruction de la France, parce que son mari, après avoir soigné un regain de tuberculose en Suisse, se voit refuser son visa de retour  en France.

Voici Lise avec toute sa famille contrainte de le suivre à Prague, où Artur London devient vice-ministre des affaires étrangères. Son plus jeune fils, Michel, naît alors. Envoyé à Prague par le parti communiste français, en mars 1950, je me heurte, stupéfait, à leur isolement et dois me servir d’anciennes relations à Mauthausen pour les rencontrer illégalement. Mes craintes sont confirmées par l’arrestation de London en janvier 1951.

Suit un long calvaire pour lui et les siens, si London a  échappé de justesse à la mort, fin 1952. Un calvaire qui ne commencera d’être atténué qu’en novembre 1954, lorsque Lise, ses trois enfants et les parents Ricol pourront revenir à Paris. London ne sera libéré qu’en 1956, suite à la lutte de Lise. Réhabilité seulement par le Printemps de Prague, douze ans plus tard.

De ce calvaire, enfin autorisé à revenir en France en 1963, il tirera L’Aveu, à quoi Lise fut partie prenante, pas seulement par ses lettres à son mari emprisonné. C’est le monument de leur tragédie.

Toute la famille, sauf London, car sa situation en France reste précaire, se retrouvera à Prague, fin 1967, pour le mariage de leur fils aîné Gérard avec Alena. Nous y découvrons que le président Novotny vient d’être démis de ses fonctions, au profit d’un Slovaque inconnu, Dubcek. La page du Printemps est en train de s’ouvrir. Françoise et moi en vivrons les étapes que je raconterai dans Les Lettres françaises en mai. Lise.et Gérard veulent faire de L’Aveu leur cadeau au Printemps de Prague.

De retour là-bas en juillet 1968, les dirigeants nous donnent leur accord pour qu’en dépit des pressions soviétiques contre eux, Artur London et Lise viennent apporter à Prague leur manuscrit. Le danger, croient-ils, ne viendra qu’avec le congrès du parti en septembre.

Voici donc Lise et son mari arrivés dans leur Peugeot.  la nuit du 21 août, où sont largués les parachutistes soviétiques. Ils leur échappent de justesse. S’il paraît une édition de L’Aveu en tchèque, sous le manteau, je vais porter le tapuscrit à Pierre Nora, qui le publie en novembre chez Gallimard. Salué par Aragon, il connaît le succès, suivi du film de Costa-Gavras, avec Yves Montand et Simone Signoret dans les rôles de London et de Lise.

Lise le prolongera, à sa manière, par ses deux grands livres : La Mégère de la rue Daguerre et Le Printemps des camarades, où elle tire à merveille les leçons de sa vie de militante et de femme. J’ose espérer qu’ils seront mis à la portée des jeunes en livre de poche.

Les années 1970 ont apporté à Lise ses premiers petits enfants, David, Thomas et Marc. Ils seront suivis par Sacha, Amaya et Melina, puis par ses arrières petits enfants, Cara, Cyprien, Alphée, Eva, Mila et Julia,

Permettez-moi d’en revenir à un souvenir de 1989.

Pierre Emmanuel, Gilles Martinet et moi avions fondé un « Comité de soutien à la Charte 1977 », que les dissidents tchécoslovaques venaient d’élaborer pour la reconquête de leurs libertés. Nous décernions, chaque année, un Prix Jan Palach, du nom du jeune garçon qui s’était immolé le 19 janvier 1969, sur la place Venceslas, afin de protester contre l’occupation soviétique de son pays. En 1989, pour saluer la « Révolution de velours », nous avons décerné ce prix aux étudiants de Prague. Yves Montand et moi sommes allés le leur porter, le 19 janvier.

Pour la première fois, le film L’Aveu allait être projeté dans un cinéma de Prague. Il m’en reste la rencontre, sur Vaclavské Namesty, Les Champs Élysées de là-bas, entre Vaclav Havel, le président de la toute neuve Révolution de Velours, Lise, Yves Montand, Costa Gavras, le metteur en scène de L’Aveu, et Jorge Semprun, le scénariste, alors ministre de la culture en Espagne du socialiste Felipe Gonzalez. Deux ans après sa mort, London allait être de la libération de son pays.

Un de ces moments de rêve, où la roue de l’histoire semble tourner dans le bon sens. C’est, me parait-il, ce qu’a cherché Lise, toute sa vie. Elle a cru qu’elle pouvait aider la roue de l’histoire à tourner dans le sens de la liberté, du bonheur du plus grand nombre. Voilà ce que je voudrais que nous partagions d’elle. De son indépendance d’esprit. De ses combats. Avec elle, disparaît la dernière femme ayant appartenu aux Brigades internationales en Espagne.


Lise London, combattante de l’espérance, est décédée

Lise London, née Elisabeth Ricol, fille d’une famille espa-gnole venue en France au début du XX ème siècle à la recherche de travail, Lise London pour qui son engagement communiste avait « la pureté du cristal », Lise London qui aura supporté, la misère, la guerre, l’emprisonnement, la déportation, la terreur stalinienne, Lise London, folle d’amour pour « Mon » Gérard (Artur London) dont elle sera séparée pendant des années par l’ignominie totalitaire, Lise London, femme rebelle jusqu’à la fin de sa vie, vient de mourir à Paris, à l’âge de 96 ans. Ce personnage d’exception, d’une intelligence pétillante, préfèrerait à l’exposé de notre peine l’évocation d’un parcours plein, fait de drames et de joies, de courage et d’amour, de partage et de lucidité. Pas pour dresser un monument à sa gloire – elle détestait le culte de la personnalité – mais pour dire à tous, particulièrement aux plus jeunes : « Ouvrez grands les yeux, ne vous laissez pas enfermer dans les certitudes, n’hésitez pas à douter, battez-vous contre les injustices, ne laissez pas la perversion salir les idéaux communistes. Soyez vous-mêmes. » Une combattante de l’espérance vient de disparaître.

Combattante, elle l’aura été depuis son enfance. D’abord à Saint-Étienne où elle vend en cachette de ses parents des cacahuètes grillées pour aider à faire bouillir la marmite familiale, puis à Vénissieux où elle étudie la sténodactylographie et s’engage dans l’action communiste.  Secrétaire aux usines Berliet, puis au comité lyonnais du PCF, elle croise Waldeck Rochet et engage une forte amitié avec Jeannette Weermersch, la future compagne de Maurice Thorez qui disait, comme un signe prémonitoire pour Lise : «  Il est difficile de rompre les amarres d’un couple quand on a rien à reprocher à son partenaire si ce n’est de ne plus l’aimer d’amour. » Elle est envoyée par le PCF à Moscou en 1934 au siège du Kominterm où elle rencontre pour la première fois Dolorès Ibarruri, la future Pasionaria. Elle a 18 ans et s’étonne déjà des « purges », d’un référendum à main levée contre le droit à l’avortement. Elle résiste à la bêtise bureaucratique et sera blâmée.

Lise, c’est l’histoire d’un amour. A Moscou, elle rencontre Artur London, militant du Parti communiste tchécoslovaque. Au self service du Kominterm, « j’ai aperçu un jeune homme, grand et beau, planté au milieu de la salle, comme pétrifié. Il me fixait intensément sans s’apercevoir que la tasse de thé qu’il tenait à la main dégoulinait le long de son poignet. » Ils décident de vivre ensemble en 1935.

Lise rentre seule en France au début de l’été 1936, travaille comme secrétaire auprès du responsable de la MOI (Main-d’œuvre immigrée, section rattachée au comité central du PCF).
A la mi-juillet 1936 commence le putsch franquiste contre la jeune République espagnole. Elle participe à Paris à la constitution des Brigades internationales et quelques mois plus tard rejoint André Marty au quartier général des BI à Albacete. Elle se souvenait avec émotion du long voyage en train et des milliers d’Espagnols rassemblés dans les gares criant « merci frères ». « Innombrables étaient alors ceux », écrivait-elle, » qui payaient tribut à la mort par amour pour la vie. Sans leur sacrifice que serait-il advenu de notre humanité ». En 1937, elle retrouve Gérard qui a rejoint lui aussi les Brigades internationales. Enceinte, Lise regagne Paris au mois de juillet 1938 et donne naissance à sa fille Françoise. Gérard la rejoint en février 1939.

L’ancienne des Brigades Internationales, capitaine dans la Résistance, ancienne déportée sera faite bien plus tard officier de la Légion d’honneur. Elle méritait cet honneur.

Sous l’occupation nazie, une  première opération est organisée par les FTP. Henri Rol-Tanguy en est le principal artisan. Lise prend la parole devant un magasin à Paris, dénonce l’occupant et s’enfuit sous la protection de deux résistants armés. La célèbre manifestation de la rue Daguerre. Elle sera la seule accusée pour « assassinat, association de malfaiteurs, activités communistes ». Suivra ensuite l’emprisonnement à La Petite Roquette où elle accouchera de Michel, puis à Fresnes, à Rennes où on lui retirera son fils, avant de prendre le chemin de Romainville, étape avant le camp de concentration. Son père, son frère Frédo et son compagnon Gérard, eux aussi, sont emprisonnés.

Lise aura vécu les années noires, sa famille écartelée, ses copines fusillées, gazées… Elle se souvenait avec émotion de ses camarades, Danièle (Casanova), Henriette et les autres, l’horreur des appels, les corvées, les bastonnades, la faim, les fusillades, les fours crématoires, le long transfert à pied sous les coups alors que les troupes soviétiques et américaines s’approchaient des camps. Elle laissait aller une larme et préférait, vite, évoquer l’organisation clandestine installée à la barbe des SS. Pour Lise, le combat primait tout.

Elle n’en avait pas fini. La famille communiste Ricol-London vivra dans sa chair le stalinisme. Vice-ministre tchécoslovaque des Affaires étrangères, Artur London, ancien déporté lui aussi, comme de nombreux anciens des Brigades internationales que Staline et ses sbires tchécoslovaques voulaient faire disparaître, va vivre l’épouvantable. Il est accusé d’espionnage et Lise, au début, doute. « Et si cela est vrai » s’interrogeait-elle. Elle n’hésitera pas longtemps comprenant le complot planifié à Moscou. Pour Artur London, ce sera 4 ans et demi de prison, 27 mois d’isolement, le cachot, la privation de sommeil, les interrogatoires, les coups et les tortures, le chantage. Artur London écrira plus tard dans son livre « l’Aveu » : « Ces méthodes, qui tendent à briser en l’homme sa dignité, sont à l’opposé de la morale socialiste. Elles sont celles, barbares, du fascisme. En les subissant on se sent dégradé, dépouillé de son titre d’homme. »

L’objectif des tortionnaires visait à détruire les anciens des Brigades internationales, de tenter de salir les proches compagnons d’Artur et aussi les dirigeants communistes français, notamment Raymond Guyot, membre du Bureau politique du PCF, beau-frère de Lise. Elle aura à subir à Prague une perquisition en présence de son père, de sa mère, de ses enfants  et dira aux flics ; «  Vous ne vous conduisez pas mieux que les policiers nazis qui nous on arrêtés mon mari et moi en 1942. » Elle travaille en usine pour survivre, placée aux postes les plus durs. Elle est marginalisée, ses anciennes amitiés se détournent et est exclue du parti communiste tchécoslovaque. A ses procureurs staliniens, elle dira : « J’étais, je suis et je resterai communiste avec ou sans carte du parti ». Une carte qu’elle retrouvera, celle du PCF, à Paris, qu’elle abandonnera un peu plus tard.

Lise London, femme rebelle. Jamais, au plus fort des drames, elle ne baissera les bras. Jusqu’à la mort, elle est restée une militante antifasciste, appelant à la tolérance, à l’écoute de l’autre. Une grande dame vient de disparaître.

José Fort

Lise London a publié deux livres : Le printemps des  camarades et La mégère de la rue Daguerre (Seuil Mémoire)