Lettre ouverte au peuple polonais ami 

« Celui qui n’a pas de mémoire n’a pas d’avenir »

Nous nous adressons directement à vous amis polonais, car nous sommes convaincus que vous partagerez notre appel à la raison. Certaines nouvelles en provenance de votre pays nous inquiètent.

Nous sommes des Français de toutes origines confessionnelles et politiques rassemblés pour défendre un devoir sacré : le devoir de mémoire. Notre association, Les Amis des Combattants en Espagne Républicaine (ACER), regroupe en France les survivants des volontaires engagés dans les Brigades internationales en 1936 ; des enfants de ces brigadistes dont beaucoup sont morts en luttant contre les troupes rebelles à la République ; des républicains espagnols contraints de fuir leur pays et des descendants de ceux-ci ; des amis de ces courageux « Volontaires de la liberté » ainsi que l’histoire les a qualifiés une fois pour toutes.

Juillet 1936. La rébellion franquiste se déchaîne contre le gouvernement républicain espagnol légitimement et démocratiquement élu. Elle est conduite par le général Franco et a été préparée de longue date par les nazis. Elle reçoit le soutien immédiat de Hitler et de Mussolini. Le gouvernement républicain espagnol est isolé. Les puissances occidentales déclarent la politique de « non intervention ». Les bombes allemandes s’abattent aveuglément sur l’Espagne. C’est le massacre de Guernica immortalisé par Picasso.

Face au déséquilibre des forces en faveur des fascistes, le gouvernement espagnol lance un appel à la solidarité internationale pour sauver la démocratie et la liberté. Venant de 54 pays, 35.000 hommes et femmes s’engagent alors dans ce qui demeure un événement majeur et unique du 20 ème siècle : les Brigades internationales.

Parmi ces courageux combattants, 3.200 sont Polonais. Ils appartiennent à différentes confessions et à des courants politiques divers. Nombreux sont des juifs. Tous ont déjà perçu, avant les autres, les véritables desseins de Hitler exposés dans son livre « Mein Kampf ». Ils se sont levés quand d’autres se couchaient. Ils ont refusé quand d’autres acceptaient.

Ils ont compris qu’à Madrid, il ne s’agissait pas d’une « simple » guerre civile mais des prémices d’une nouvelle guerre mondiale. Le plan était clair : en faisant main basse sur l’Espagne, Hitler isolait totalement la France et pouvait ainsi mettre en oeuvre ses plans barbares de domination sur toute l’Europe. Les brigadistes internationaux quittent l’Espagne en 1938. Le lendemain de leur départ sont signés les sinistres accords de Munich qui livrent la Tchécoslovaquie aux nazis.

La Seconde Guerre mondiale pouvait commencer. Elle allait provoquer des millions de morts. La Pologne devra payer un lourd tribut à cette folie programmée. On retrouvera les anciens des Brigades internationales, en particulier en Pologne, aux premiers rangs de la lutte contre les nazis.

Or, nous apprenons que les autorités de Varsovie qualifient aujourd’hui de « traîtres » à leur pays les survivants polonais des Brigades internationales et  menacent d’annuler le supplément à leurs maigres pensions d’Anciens combattants. Des rues portant les noms de volontaires qui ont combattu dans la Brigade Dombrowsky (du nom du général communard tué en 1871 sur les barricades parisiennes) ont déjà été débaptisées.

Renier ainsi ceux qui sont l’honneur de la Pologne n’est-ce pas se renier soi-même ? La Pologne ne mérite pas cela. L’honneur de ces brigadistes a été reconnu par les gouvernements espagnols dirigés, hier par M. Aznar, aujourd’hui par M. Zapatero. Après les années de plomb de la dictature franquiste, la nationalité espagnole a été attribuée à tous les brigadistes internationaux. Avec nous, ce sont toutes les forces politiques espagnoles qui protestent contre les décisions annoncées à Varsovie.

Le président Jacques Chirac et le Parlement français unanime ont reconnu la qualité d’Ancien combattant aux brigadistes français tandis que le général de Gaulle, dès la Libération, avait élevé quatre brigadistes français au rang de Compagnons de la Libération, la plus haute distinction française au titre de la Résistance. Parmi eux, le colonel Henri Rol-Tanguy, le libérateur de Paris avec le général Leclerc.

Nous l’affirmons devant l’opinion publique polonaise : la volonté exprimée par les autorités de Varsovie ne constitue pas seulement une « négation », une « révision » de l’histoire. Il s’agit d’une dangereuse entreprise visant à jeter un voile sur une démarche plus générale foulant aux pieds ce que le passé contient de plus noble ; c’est aussi nier les valeurs constitutives de l’Union européenne, un socle commun mis en place pour en finir à jamais avec la guerre, pour cultiver la liberté et la démocratie.

Notre démarche publique, amis polonais, ne constitue donc en rien une intervention dans les affaires intérieures de votre pays. Nous sommes tous Européens. Nous appartenons désormais à la même famille.

Après la Seconde Guerre mondiale, des régimes aujourd’hui disparus  ont été mis en place, notamment en Pologne. Le jugement que l’on peut porter sur ceux-ci ne peut en aucun cas être assimilé avec les événements de 1936. Nous devons à la Résistance de vivre libres. Il est un devoir sacré pour tous les démocrates de ne pas laisser porter atteinte à ce fait historique.

Nous appelons les autorités polonaises à renoncer aux mesures  « révisionnistes » en cours d’élaboration. Nous pensons à ces femmes et à ces hommes, honneur de la Pologne. Nous pensons aussi que la Pologne doit donner une autre image d’elle-même en Europe, une image qui soit conforme aux valeurs réunissant les peuples européens. En voulant rayer de l’histoire les brigadistes polonais, les autorités polonaises mettent la Pologne à l’index de l’Europe. Il n’est pire service à rendre à votre pays.

Nous appelons au respect de l’histoire. La Pologne ne peut échapper à cette vérité : celui qui n’a pas de mémoire n’a pas d’avenir.

Respect et hommage doivent être rendus à ceux qui se sont levés avant l’aube. Respect et hommage aux brigadistes de tous les pays, à ceux venus de Pologne en particulier. Aux survivants et à leurs familles nous adressons notre solidarité et nos remerciements. Ils nous permettent aujourd’hui de vivre sans chaînes aux mains ni boulets aux pieds. Nous savons que nombreux, parmi le peuple polonais, sont celles et ceux qui préfèrent la lumière aux ténèbres, la vérité au mensonge, le désir d’aller de l’avant plutôt que d’être tirés vers un dangereux et triste passé. Nous leur tendons la main.

Les Amis des Combattants en Espagne Républicaine (ACER). Paris.

www.acer-aver.fr

Lise London-Ricol, Présidente d’honneur de l’ACER, Officier de la Légion d’Honneur, ancienne brigadiste en Espagne, déportée et Résistante, veuve d’Artur London, ancien Brigadiste, déporté-Résistant, victime de procès stalinien à Prague, auteur de « l’Aveu ».

Cécile Rol-Tanguy, Présidente d’honneur de l’ACER, Chevalier de la Légion d’Honneur, Résistante, veuve du colonel Henri Rol-Tanguy, ancien Brigadiste, co-organisateur de la libération de Paris (25 août 1944) avec le Général Leclerc.

François Asensi, co-président de l’ACER, député, fils de combattant républicain espagnol.

José Fort, co-président de l’ACER, journaliste, fils de brigadiste.

Jean-Claude Lefort, co-président de l’ACER, député, fils de brigadiste.

Pierre Rebière, secrétaire général de l’ACER, fils de Brigadiste (fusillé par les nazis en 1942).